L’EDITO DE LA SEMAINE. La force du Bien, par Gilles-Hervé Masson

La mi-carême est déjà passée… c’était le 23 ! C’est dire que le temps nous file entre les doigts. Pour ceux et celles qui se sont mené la vie dure durant cette première mi-temps, c’est l’occasion de recevoir force encouragements pour demeurer dans une bonne logique de renouvellement spirituel. Pour ceux et celles qui n’auraient pas encore pris le départ (ne souriez pas : ça peut arriver… !) c’est l’occasion de recevoir encouragement aussi pour s’y mettre : il n’est jamais trop tard ! Pour tous c’est aussi l’occasion de se reformuler les enjeux de ce temps si particulier qui commence en hiver et s’achève au printemps (le détail n’est pas neutre !)
Trois mots sont habituellement associés au carême : Prier, Jeûner, Partager. Et on serait bien en peine de choisir un ordre de préférence. Pour beaucoup toutefois, c’est la notion d’effort, de labeur voire de douleur qui colore le tout. Jeûner : manger moins car on se laisse toujours trop aller… Prier plus : car on n’en prend jamais le temps… Partager : soit parce qu’on ne le fait pas vraiment à moins même qu’on ne le fasse pas du tout… Le carême peut apparaître comme un tunnel d’ascèse.
Mais l’âme et la raison d’être de tout cela ? L’effort pour l’effort ? Sûrement pas : ce serait vain. Donner des gages à Dieu de notre bonne volonté ? Pourquoi pas… à condition que ça ne tourne pas à une course au mérite qui dame le pion à la logique de la grâce, c’est à dire, en d’autres termes : que la gratuité de l’amour soit mangée par une démarche intéressée, une « course à la récompense » et à l’autosatisfaction.
Les choses sont plus simples : tous ces efforts – car ce sont des efforts – sont des moyens très modestes  pour nous rappeler que la vie, même spirituelle, requiert un minimum de discipline mais aussi, et surtout, que cette discipline n’est pas une fin en soi. Tous ces « efforts » qui nous coûtent ne visent qu’à nous alléger et à nous désencombrer. Ils nous font faire une diète spirituelle de bon aloi pour nous rendre plus réceptifs à l’essentiel.
Mais ajoutons un mot à notre lexique de carême. Le mot « discernement ».
Depuis que l’on a un pape jésuite, il est passablement revenu à l’honneur. Notamment dans Amoris Laetitia (La joie de l’amour). Que signifie-t-il ? Deux choses au moins : d’abord se donner toujours les moyens d’un regard en profondeur sur les personnes et les situations, les grandes questions et les grands enjeux de la vie. Regard en profondeur et regard bienveillant. Prendre le temps de faire la part des choses, en soi et autour de soi. Mais tout cela repose sur une dimension plus fondamentale, proprement spirituelle : prendre soin de son regard, préserver la clarté de son regard. Car il est vrai que, comme par un tropisme par trop naturel et malheureux, nous sommes enclins à voir immédiatement le mal et, assez rapidement, à ne plus voir que lui…
Préserver son regard – ou évangéliser son regard –  c’est demeurer capable de voir le beau, le bien et le bon à l’œuvre en ce monde et dans le cœur des hommes. Cela peut être occulté par les vilenies des hommes ! Une certaine « lucidité », toujours catastrophiste,  ne se fait pas faute de rappeler l’évidence du mal. Elle ne produit que peur, aigreur et amertume. Ce n’est pas la voie du Christ. Ce n’est pas ce que les chrétiens peuvent apporter au monde qui a besoin de douceur et de paix.
Il est peut-être moins facile mais il est aussi plus vrai et fécond de percevoir le bien à l’œuvre dans le monde et dans le cœur des hommes et de croire aussi que les forces de bien sont aussi des forces… des vraies !
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire à Saint-Eustache