La musique, la foi, la musique…

Pour certains chrétiens fervents mais inquiets, obsédés par le “tragique de l’action”, le péché d’esthétisme est aussi déshonorant que le crime de “loisir” imputé jadis aux philosophes par les républicains de Rome!” C’est ainsi que s’exprimait le R.P. Emile Martin, de l’Oratoire (le Père Martoir de l’Oratin, comme disaient certains esprits facétieux du microcosme musical parisien de l’époque) en introduction à son essai La Musique et le Sacré (Fayard, 1968).

Loin de voir dans la musique un luxe dont on pourrait aisément se passer, la tradition oratorienne a toujours pris au sérieux la demande de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Ephésiens.

“Dites entre vous des psaumes, des hymnes et de libres louanges, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur.”

La musique dilate le cœur et le chœur, en nous mettant momentanément à l’unisson ou en harmonie avec les autres. Sa gratuité nous introduit dans une dimension où les idées et même les mots reconnaissent leurs balbutiantes limites. Saint Philippe Néri au XVIème siècle à Rome souhaitait ardemment que les réunions de l’Oratorio se terminent par de la musique, savante ou populaire. Palestrina est un fruit de cette culture-là. L’oratorio a même fini par désigner plus tard un genre musical.

Dans la France classique du XVIIème et du XVIIIème siècles les Pères de l’Oratoire de la rue saint-Honoré étaient appelés “les Pères aux beaux chants”: ils avaient contribué à créer un répertoire de plainchant néo-gallican, d’inspiration très française, qui inspirera notamment les fameuses messes de Henry du Mont (la première, dite “sur le ton royal”, est encore chantée ici à Saint-Eustache). On leur attribue deux célèbres hymnes pour le temps de l’Avent: le Rorate coeli et le Conditor alme siderum, naguère très populaires. Et aussi la version brève du Salve Regina.

Lorsque les Oratoriens se voient confier la paroisse de Saint-Eustache après la première guerre mondiale, rapidement l’orgue et le chant sont mis à l’honneur. Le curé, le Père Courcoux, futur évêque d’Orléans, y tenait: il était lui-même un pianiste distingué. Et c’est en 1944 que le Père Martin, alors âgé de trente ans, fonde la Société des Chanteurs de Saint-Eustache. Longtemps pionnier dans la redécouverte du grand répertoire de musique sacrée, on ne compte pas les disques enregistrés avec son fondateur, auteur d’une fameuse Messe du sacre des Rois de France, en 1951, qui fit couler beaucoup d’encre par ses qualités de pastiche et la grande solennité de son déploiement!

La tribune d’orgue illustrée pendant plus d’un demi-siècle par Maître Jean Guillou compositeur au renom international, connaît à nouveau de grandes heures avec ses deux nouveaux titulaires, Baptiste-Florian Marle-Ouvrard et Thomas Ospital. Et les Chanteurs dirigés avec fougue par Lionel Cloarec conduisent les fidèles de cette église au recueillement ou à la jubilation !

Jérôme Prigent, de l’Oratoire