« Frappez à la porte étroite et l’on vous ouvrira ! »
Méditation du Père François Picart parue le 25 août dans le journal La Croix
Méditation du Père François Picart parue le 25 août dans le journal La Croix
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 13, 22-30
En ce temps-là, tandis qu’il faisait route vers Jérusalem, Jésus traversait villes et villages en enseignant. Quelqu’un lui demanda : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » Jésus leur dit : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et n’y parviendront pas. Lorsque le maître de maison se sera levé pour fermer la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : ‘Seigneur, ouvre-nous’, il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes.’ Alors vous vous mettrez à dire : ‘Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.’ Il vous répondra : ‘Je ne sais pas d’où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui commettez l’injustice.’ Là, il y aura des pleurs et des grincements de dents, quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob, et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous-mêmes, vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu. Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers. »
L’accès au festin du Royaume n’a rien à voir avec les concours d’entrée aux grandes écoles ou à la haute fonction publique. Là où ceux-ci prévoient des quotas qui limitent le nombre des places disponibles, le Festin du Royaume est accessible à la multitude, même si, paradoxalement, cet accès passe par une « porte étroite ». Dans les villes fortifiées, cette porte était celle de la dernière chance qui demeuraient ouverte le soir venu, une fois closes les portes principales de la ville.
Dans ce dialogue sur l’accès au Festin, les difficultés ne sont pas celles mises en avant par l’interlocuteur de Jésus. D’où le déplacement qu’il lui fait opérer. L’homme s’inquiète de faire partie des élus. Jésus lui répond que nul ne peut se prévaloir par lui-même d’être du nombre. L’accès dépend de Dieu seul. Aucune logique mondaine n’ouvre la porte du festin du Royaume.
Au moment où Jésus répond à son interlocuteur, il est en route vers Jérusalem où il se prépare à passer lui-même par la « porte étroite » de la passion. Refusant la facilité du succès mondain, Jésus s’efforce ou, plus littéralement, « lutte » pour entrer par la « porte étroite ». Elle consiste à laisser à Dieu seul le soin d’authentifier la justesse de son rapport à lui. Il devient lui-même cette porte pour la multitude, une fois celle-ci ouverte par sa résurrection. Ce combat n’est pas contre des rivaux. Il est d’abord le combat de la foi que Jésus a mené jusqu’à la veille de sa mort, un combat personnel pour accueillir la grâce de la miséricorde de Dieu au point d’en faire le souffle de son existence au service de la préparation du Festin pour la multitude. Au lieu de réserver l’accès à un petit nombre, il est le chemin qui prépare la venue d’une multitude venue de l’orient et de l’occident, celle qu’avait entrevue le prophète Isaïe (66, 18-21). Jésus déplace donc la question et ouvre autrement l’accès au festin du Royaume.
Saint Paul a bien repéré qu’avec Jésus, les nouvelles conditions du rassemblement du Peuple de Dieu, changent du tout au tout : la ligne de partage entre Israël et les païens disparaît au profit de la foi au Christ qui rebat les cartes de l’affiliation au Peuple de Dieu. À l’heure des grandes mutations que nous rencontrons, le combat à mener est moins celui de la seule volonté que celui de l’intelligence du cœur pour remettre en question nos cadres de référence. Là est peut-être la plus grande difficulté. Dans les sociétés devenues multiculturelles, les religions sont perçues comme un obstacle au vivre ensemble, facteurs de division, voire de violence. Quelle porte étroite ouvre le Christ qui donne à la multitude accès au festin du Royaume, selon le projet de Dieu de rassembler son peuple par-delà les frontières et les murs de la haine ? Où la reconnaître ? Les prébendes doctrinales, sacramentelles ou éthiques qui ne s’accompagnent pas d’une conversion intérieure au Royaume, sont exposées aux logiques mondaines. Elles génèrent inquiétudes, crispations sur des traditions choisies, raideurs identitaires au plan culturel et au plan religieux. En revanche et paradoxalement, la « porte étroite » ouvre l’accès à la multitude, à condition de ne pas confondre Royaume de Dieu, où nous attend le festin du Seigneur, et l’Église qui en est le signe et l’instrument. Or, l’Église est passée par cette « porte étroite » du mystère pascal, lorsque l’Esprit du Christ a conduit le concile de Jérusalem à ne rien imposer « au-delà du nécessaire » (Ac 15, 28) aux païens qui voulaient suivre le Ressuscité et rejoindre le peuple de Dieu.
Dans les temps qui sont les nôtres, cherchons dans le dialogue quel est « ce nécessaire » qui maintienne ouverte la « porte étroite » du Royaume. Puisse l’Esprit-Saint réduire en nous la part d’indisponibilité à la Nouveauté du Christ qui nous appelle dans les convulsions du monde actuel, qu’il creuse en nous la pauvreté, celle que son Église connaît précisément aujourd’hui, pour nous apprendre à prier. Car « frappez et l’on vous ouvrira ! ».
François Picart, prêtre de l’Oratoire