Homélie du Père Quesnel lors de la messe d’A-Dieu au père Delatouche

Je suis sans doute l’un des oratoriens vivants qui ont le plus travaillé avec Henri Delatouche. J’ai été son vicaire pendant 6 ans à Ste Thérèse de Boulogne, puis pendant 5 ans à St Eustache. Et nous avons également été, pendant 10 ans, ensemble assistants du Supérieur général de l’Oratoire, d’abord Daniel Milon, puis Jean Dujardin.

J’évoque d’abord quelques traits de la personnalité d’Henri, qui m’ont conduit à choisir les textes bibliques que vous avez entendus. Henri aimait la table. Il savait recevoir et être reçu. J’ai eu le plaisir d’être reçu chez lui, à Bonnemain, d’abord chez sa mère puis dans la maison qu’il avait achetée. Henri était amical et fraternel. Je me souviens d’un certain lundi de Pâques où notre équipe avait travaillé dur pendant toute la Semaine sainte, et où il nous a proposé, le lendemain, de faire une virée dans le Sancerrois où se trouvait la colonie de vacances de Ste Thérèse de Boulogne, pour profiter du vin de Sancerre et du Crotin de Chavignol. A l’époque, il avait une puissante voiture, et il conduisait vite.

Henri savait se mettre au service des autres, avec un réel courage. Il l’a montré pendant des années, à l’aumônerie de lycée de Boulogne puis en paroisse, à Boulogne, à St Eustache, puis à Notre-Dame des Champs. Quand il est arrivé à St Eustache en 1983, il a clairement annoncé qu’il ne célébrerait pas la messe en latin, s’opposant en cela à des milieux journalistiques et universitaires parfois violents et jouissant de puissants appuis. J’ai encore le souvenir d’un weekend qui s’ouvrait pour lui et pour moi particulièrement chargé par le service à assurer auprès des paroissiens ; j’étais fatigué à l’avance devant l’ampleur de la tâche à accomplir ; il m’a déclaré avec sa sagesse toute rurale : « Ne t’en fais pas ! On n’a jamais vu une journée qui ne se termine pas ! ». Merci, Henri, de cette réflexion et de plusieurs autres.

Henri nous lègue alors un message qui se dégage particulièrement bien du livre de la Génèse et de l’évangile de Luc. Sachons, nous aussi, pratiquer l’hospitalité, recevoir, accueillir. Abraham était un chef de clan. Il se mit spontanément au service des hôtes mystérieux qui se présentèrent à l’entrée de sa tente et qui étaient des envoyés de Dieu. Commentant cette scène, l’auteur de l’épître aux Hébreux écrit : « Que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges » (He 13, 1-2).

Ceux que Dieu nous envoie, qui nous rencontrent, qui parfois bousculent notre emploi du temps très programmé, sont souvent ceux qui nous déshabituent de ce que nous sommes, et nous font avancer sur le chemin d’intimité avec le Christ.

Ces textes nous apprennent la vigilance évoquée par Jésus dans l’évangile de Luc. Avoir les reins ceints et la lampe allumée, c’est prendre la tenue des Hébreux qui vont quitter l’Egypte vers la Terre promise en traversant le désert. La surprise des serviteurs qui seront dans cette tenue, c’est que Jésus les fera mettre à table et prendra à son tour la place du serviteur. Lui-même se ceindra les reins, non pas avec la corde qui maintient le manteau et permet le voyage, mais avec le tablier de celui qui est au service des convives. Pour reprendre l’imagerie biblique, disons-nous que le banquet est préparé pour nous. Si nous avons été serviteurs en cette vie, nous serons, dans l’au-delà, servis par celui-là même dont toute la vie a été une vie de service, comme il l’a exprimé en lavant les pieds de ses disciples, le Jeudi saint.

Oui, Seigneur Jésus, nous avons l’espérance qu’Henri est maintenant assis à la table du festin préparé par le Père ; et que tu le laves, le purifies, et le traites comme un roi.

Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire à Saint-Bonaventure, Lyon