L’édito de la semaine. Au cœur de la ville, servir un lieu de gratuité

« J’ai demandé une chose au Seigneur, la seule que je cherche : habiter la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, pour admirer le Seigneur dans sa beauté et m’attacher à son temple. » J’ai mis du temps à comprendre ce que pouvait signifier ces paroles du psaume 26, car jeune homme, fréquentant l’église de ma paroisse le jour dominical, je ne me voyais pas habiter tous les jours de ma vie, un lieu de vieilles pierres, bien loin du confort de la vie contemporaine. Ce n’est que peu à peu, me plongeant dans les Écritures et vivant la liturgie de l’Église, que j’ai un peu mieux déchiffré ces paroles qui m’étaient extérieures. Cette maison du Seigneur, c’est un lieu de convergence, d’unification. De l’humain avec lui-même et son créateur, avec son histoire et ses frères en humanité.

Il n’est pas facile pour l’homme d’aujourd’hui, qui n’est héritier d’une transmission de la foi chrétienne que par choix, de comprendre les codes et les symboles déployés dans les églises chrétiennes, s’il n’a pas pris le temps de s’approprier ce langage. Les rites que déploient les chrétiens peuvent nous être extérieurs, et nous rendre indifférents. Ou au contraire être comme une question s’adressant à notre construction intérieure, notre construction sociale. Célébrer la foi de l’Église nous pose la question de notre habitation commune… Il n’est pas facile de répondre à cette question dans une transformation de notre paysage urbain, culturel, politique et ecclésial. Ainsi, combien de demeures familiales (riches d’évènements, de rassemblement comme les deuils, les mariages ou les vacances d’été…) sont-elles mises en vente parce qu’aucun des héritiers après la mort du grand-père ou de la grand-mère, n’a les moyens d’entretenir un train de vie et une bâtisse conçus pour un autre temps ? Ainsi en est-il pour les églises que nous fréquentons, il nous faut de génération en génération, inventer la manière de les habiter.

Les Lyonnais ont la chance de trouver au cœur de leur ville ces lieux comme Saint-Bonaventure et la chapelle de l’Hôtel-Dieu encore ouvert au culte. Ils offrent un espace pour se poser, méditer, se rencontrer et vivre la prière de l’Église et cela gratuitement ! À Saint-Bonaventure, quiconque peut entrer, aller et venir sans avoir à justifier sa présence. Ce n’est pas rien au coeur d’un paysage commercial où tout s’achète et se vend ! Sans doute l’architecture épurée des franciscains, encore visible dans le squelette du bâtiment, offre-t-elle cet espace invitant à l’intériorité, que l’on soit croyant ou pas. Ce sanctuaire visité par les personnes de l’agglomération ou par des touristes de passage, offre une mixité sociale rare au cœur de la ville, embrassant riches et pauvres.

Alors que le quartier Grôlée, dans la mouvance des travaux luxueux engagés sur l’Hôtel-Dieu, réactive le commerce vers le haut de gamme, que le sanctuaire Saint-Bonaventure va connaitre lui-même un an de travaux pilotés par la ville à partir de septembre, comment au coeur de ces transformations du paysage
urbain, alors que l’Église en France devient plus pauvre en personnel qualifié, les chrétiens vont-ils habiter ces lieux ? En « consommateurs » ou en acteurs de l’Église ? Ces églises, dont nous héritons, nous lancent une question : les laisserons-nous devenir des musées artistiques et spirituels (il suffit d’activer un imaginaire de la chrétienté) ou bien saurons-nous réinventer une manière d’être chrétien au coeur de la ville en n’ayant pas peur d’écouter les questions de l’homme d’aujourd’hui et en redécouvrant toujours la sagesse de ce que croit l’Église, en devenant, chacun pour sa part, acteur de sa foi baptismale ? C’est une question qui je crois, traverse beaucoup de personnes dans l’Église en France ; cette question m’habite comme prêtre de l’Oratoire après sept années passées ici comme vice-recteur et recteur de Saint-Bonaventure.

Appelé par ma congrégation à servir en un autre lieu au cœur de la ville, Saint-Eustache à Paris, je rends grâce de ce que j’ai reçu ici à Lyon. Il est difficile de dire pourquoi nous aimons tel lieu ou telle personne. Mais s’il y a une convergence ce serait celle-ci : le Dieu de Jésus-Christ se rencontre dans l’humain, la rencontre de l’humain avec toute sa fragilité et sa pauvreté. Saint-Bonaventure m’a appris un peu cela : ce lieu nous parle de ce Dieu qui cherche l’humain et de l’humain qui cherche Dieu. Le point de convergence : c’est l’acceptation de notre pauvreté commune, que le pain rompu sacramentellement éclaire ! Il m’a été donné de goûter ce mystère, au milieu des joies et des tempêtes avec mes frères oratoriens, avec les laïcs qui m’ont supporté, Armelle Pinon laïque en mission ecclésiale jusqu’en septembre prochain, Françoise Zehnacker, Isabelle Vautherin et Isabelle Gignoux. Avec également les salariés et nombreux bénévoles engagés, les artistes rencontrés, les pénitents qui me révélaient la source de la miséricorde, les nombreux fidèles rencontrés. Merci à tous, par votre présence, de rendre ce lieu vivant et habité.

Antoine Adam, recteur de Saint-Bonaventure, chapelain de la chapelle de Hôtel Dieu