Des prophètes pour le carême, par le Père Michel Quesnel

Il y a plus de vingt-cinq siècles, un disciple du prophète Isaïe écrivait : « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci : faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? » (Isaïe 58, 6-7).
Des auteurs contemporains prennent le relais. On peut, par exemple, lire ceci sous la plume de Frédéric Boyer, un écrivain catholique, dont ont été lus de larges extraits d’un de ses livres le mercredi 22 mars à Saint-Bonaventure : « Nous devrions nous sentir toujours plus solidaires de tous ceux qui, faute d’une entraide suffisante, n’ont pu parvenir à un développement vraiment humain, à la jouissance d’une authentique communauté (Jean XXIII). ‘Celui qui, possédant les biens de ce monde, voit son frère dans la misère et lui ferme son coeur, comment l’amour de Dieu serait-il en lui ?’ (Première lettre de Jean). […] Peut-on aimer son frère sans aimer l’amour ? […] Bien évidemment, cela est tout, sauf facile. La charité fraternelle englobe l’amour des ennemis et des adversaires, et s’adresse dans l’homme à ce qu’il y a de plus caché, de plus obscur et de plus violent, au-delà des qualités et des dons propres à chacun » (F. Boyer, Quelle terreur en nous ne veut pas finir ? Paris 2015, p. 23-24).

L’auteur n’est pas estampillé comme prophète, mais son discours est bien proche de celui du livre d’Isaïe. Et il y en a d’autres semblables. Par exemple le documentaire de Wim Wenders consacré au photographe Sebastião Salgado, intitulé Le sel de la terre (2014). Il montre un état de la planète alarmant, non seulement par la pollution des sols, mais par la façon dont les humains les plus pauvres souffrent de la faim, de la violence, de l’injustice, de l’exil, cela parfois tout près de nous, et même chez nous.

Face à cet état du monde, nous nous sentons très démunis. Et bien sûr, on ne peut prendre en charge toute la misère du monde. Mais se contenter de donner en carême un argent dont on n’a pas réellement besoin, c’est un peu juste, non ? Lorsque parlent les prophètes d’aujourd’hui, nous devons nous interroger pour savoir si ce à quoi nous nous occupons ordinairement est une activité prioritaire, ou s’il n’y a pas plus urgent à faire.

Par son baptême, chaque chrétien a été consacré « prêtre, prophète et roi ». Le moins que nos frères humains peuvent attendre de nous est que nous prenions au sérieux le message des prophètes de notre temps.

Michel Quesnel, chapelain à Saint-Bonaventure