Prier devant les événements, par François Picart
« Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
« Demandez, on vous donnera » (Lc 11, 1-13)
Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : ‘Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. »
Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : ‘Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.’ Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : ‘Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose’. Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut. Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ?
Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »
« Demandez, on vous donnera tout ce qu’il faut » affirme Jésus à ses disciples lui demandant de leur apprendre à prier. A écouter la plupart des intentions de prière universelle, les assemblées chrétiennes semblent avoir bien appris la leçon. Trop bien peut-être. Nous ne cessons de prier pour…, pour les malades, pour les pauvres, pour les migrants, pour les victimes de la violence, des attentats, pour la paix, etc. De même, chaque fois qu’un événement grave ébranle notre vie, nous rappelle à la précarité de notre existence, nous nous sentons appelés à la prière. La forme qu’elle prend et le propos que nous tenons, éclairent l’idée que nous nous faisons de Dieu. À la lecture de cet évangile, émerge alors cette question. Car, au regard de la prière de demande, deux lectures sont possibles de la parabole de Jésus : celle qui met en avant l’objet de la demande, le prêt des trois pains, celle qui met en avant le don de l’Esprit qui ajuste le priant au « combien plus » que le Père a préparé à celui qui demande de « bonnes choses ».
Un ajustement, une conversion, est donc nécessaire pour se rendre disponible à ce « combien plus ». Au regard du dessein de Dieu de former un peuple de lumière qui nourrisse l’espérance de l’humanité toute entière, la prière de demande commencera par demander de « bonnes choses » : la paix, la justice, la fraternité, la liberté, la sécurité, etc. nécessaires pour vivre ensemble. D’autant plus en période de chaos. Mais se contenter de ces « bonnes choses » suffit-il à se rendre disponible à celui que nous révèle la prière de Jésus, à celui qui cherche à se manifester à tout homme au milieu des bouleversements, des incertitudes, des inquiétudes, des joies que nous vivons aujourd’hui ? Les litanies des « bonnes choses » de certaines prières de demande ressemblent parfois trop à la liste des courses à faire, à partir de ce qui manque dans les placards vides. La perception du manque est première. Elle commande la suite. Les « bonnes choses » que nous demandons pour nous ou pour les autres, dépendent donc de l’idée que nous nous faisons de ces besoins. Les excès d’une telle pratique ne sont-ils pas le revers des certitudes humaines sur une idée de la « toute-puissance » d’un dieu intervenant sur les événements, un dieu qui pallie ce qui manquerait à l’homme pour exercer le contrôle sur sa vie. Finalement, les excès de cette prière de demande n’ont-ils pas pour résultat d’enfermer l’action de Dieu dans ce que nous croyons connaître de nos besoins. Mais une telle idole ne peut que décevoir face à l’expérience du mal, en particulier celle que subit la victime innocente qui demande simplement : « pourquoi moi ? »…
Quand vous priez, dites : « Notre Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne… ». Par sa construction, la prière de demande que contient la prière de Jésus, indique comment nous ajuster à « celui qui est au-delà de tout » pour nous rendre disponible au « combien plus » que Dieu prépare à l’humanité. La prière de Jésus est moins centrée sur ses manques que sur la venue, dès aujourd’hui, du règne de son Père, sur sa mission de conduire un peuple de lumière au contact duquel toute homme peut renaître à l’espérance. En poursuivant une conversation que son Père a inaugurée, la prière de Jésus situe les « bonnes choses » à partir du meilleur que Dieu prépare pour son peuple, donc pour chacun de nous. Dans les temps que nous vivons, rendons-nous disponible au don de l’Esprit qui convertit notre prière à celle de Jésus, qui mobilise l’intelligence du cœur et éclaire sur la manière dont nous pouvons faciliter l’avènement de ce règne sur nous-mêmes, condition nécessaire pour que se réalisent les « bonnes choses » que nous demandons pour nous et pour les autres :
Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute circonstance, priez et suppliez, tout en rendant grâce, pour faire connaître à Dieu vos demandes. Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus. Enfin, mes frères, tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte. Ce que vous avez appris et reçu, ce que vous avez vu et entendu de moi, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous. (Ph 4)
François Picart, prêtre de l’Oratoire