« Naître de Dieu », par le Père François Picart

La tradition a davantage retenu l’annonce faite à Marie que celle faite à Joseph, que la liturgie nous propose d’écouter également le 19 mars. À la différence de celle de Marie, l’annonciation de Joseph présente la transmission du message de Dieu à travers un songe, médiation classique de communication divine chez les anciens. L’ensemble de la construction littéraire raconte l’accomplissement de la promesse faite par Dieu à son peuple à travers la prophétie d’Isaïe. Dans un contexte de doute sur la fidélité de Dieu à sa promesse d’accompagner son peuple, alors que le roi Achaz est tenté de s’en sortir pas ses propres moyens, le prophète Isaïe atteste la présence de Dieu auprès de son peuple, sous la forme improbable d’un enfant né d’une vierge, un phénomène auquel résiste la raison humaine.

En abandonnant le soupçon d’une conception adultérine pour accueillir la parole reçue en songe, Joseph se rend disponible à l’inouï de Dieu qui se manifeste en bousculant les raisonnements humains, les calculs prévisionnels, etc., mais avec la discrétion d’un vent léger davantage qu’à grand renfort de coups d’éclat (cf. Élie à l’Horeb en 1R 19). La genèse de Jésus obéit à une action trinitaire. Elle révèle à l’homme qu’avec Jésus, chaque être humain dispose de critères de discernement pour chercher comment chacun est capable de naître de Dieu, donc comment les autres sont capables de naître de Dieu, autrement dit, comment, ensemble, nous sommes capables de Dieu.

Cette « capacité » peut s’entendre au sens de potentiel au sens où, à travers ses questions spirituelles, sa quête de sens, chacun est « capable » d’entrer en relation avec Dieu, voire même en communion avec lui, par grâce de sa part. C’est pourquoi cette « capacité » peut aussi s’entendre au sens où on s’interroge sur la capacité d’un récipient : la genèse de Jésus en Marie manifeste que l’homme peut se faire capacité de Dieu : en se rendant disponible à l’action de l’Esprit qui l’engendre comme fils de Dieu, Jésus manifeste que chaque être humain est réceptacle de la grâce de Dieu. Il dispose des ressources nécessaires pour laisser le Verbe de Dieu prendre naissance en lui. Dans le souffle de l’Esprit, chacun peut naître de Dieu. Comment ? Une hymne l’exprime : à la question où et quand Dieu prend-il naissance ?, les couplets désignent la capacité de chacun à se mettre au service d’une vie meilleure avec et pour les autres :

« Qui peut me dire le jour où Jésus le Christ est né ? Vois, Jésus prend naissance quand l’homme commence d’ouvrir son cœur et ses mains pour changer la vie de ses frères; Alors, Jésus prend naissance. « 

En Marie, Jésus le Christ est né de Dieu. En réponse à ce don primordial, dans le souffle de l’Esprit, le Verbe de Dieu prend naissance en chacun de ceux qu’il a rencontrés, relevés, remis en route. Ils ont pu naître de Dieu : ses disciples, mais aussi Nicodème, la Samaritaine, La syro-phénicienne, etc. D’autres ont résisté…

L’annonciation de Joseph indique que cette nouvelle naissance est rendue possible par la conversion au dessein de Dieu… jamais terminée. En raison de la complexité humaine, il y a toujours une part de nous-même qui est appelée à naître de Dieu. Qui peut prétendre changer la vie de ses frères sans commencer par changer de vie, sans commencer par ouvrir son cœur et ses mains pour accueillir le dessein de Dieu et participer à sa mise en œuvre ? Tous les jours, sous nos yeux, nous prenons conscience que la fraternité universelle voulue par Dieu rencontre des résistances et des obstacles pour se frayer un passage au milieu de nos préoccupations, de nos égoïsmes, de nos lassitudes, de nos peurs.

Le salut de Dieu s’est manifesté en la vie, la mort et la résurrection de Jésus. Laissons-le poursuivre cet enfantement en prenant, comme Joseph, du recul afin de faire place à l’Évangile dans les clés de lecture auxquelles nous recourons pour comprendre ce qui nous arrive. L’Évangile montre comment Jésus a ouvert son cœur et ses mains pour changer la vie de ses frères, pour les réveiller, pour les mettre debout, pour les relever, autant de verbes qui rendent plus concrets les prénoms du fils de Marie : « Jésus », c’est-à-dire « Dieu sauve » et « Emmanuel », c’est-à-dire « Dieu avec nous ». Comme Joseph qui s’est fait le témoin discret de l’action de l’Esprit Saint, préparons les chemins du Seigneur : Viens Emmanuel !

François Picart, prêtre de l’Oratoire