« On se gargarise souvent d’altérité… mais devant le Tout Autre, comment ne pas perdre pied ? »
Méditation biblique du P. Jérôme Prigent
Méditation biblique du P. Jérôme Prigent
Évangile du samedi 7 mai 2022
En ce temps-là, Jésus avait donné un enseignement dans la synagogue de Capharnaüm.
Beaucoup de ses disciples, qui avaient entendu, déclarèrent :
« Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? »
Jésus savait en lui-même que ses disciples récriminaient à son sujet. Il leur dit :
« Cela vous scandalise ?
Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant !…
C’est l’esprit qui fait vivre,
la chair n’est capable de rien.
Les paroles que je vous ai dites sont esprit
et elles sont vie.
Mais il y en a parmi vous qui ne croient pas. »
Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas, et qui était celui qui le livrerait.
Il ajouta :
« Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père. »
À partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner.
Alors Jésus dit aux Douze :
« Voulez-vous partir, vous aussi ? »
Simon-Pierre lui répondit :
« Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons,
et nous savons que tu es le Saint de Dieu. »
Jean 6, 60-69
« On se gargarise souvent d’altérité… mais devant le Tout Autre, comment ne pas perdre pied ? »
Signe de division… ? Nous sommes souvent perplexes voire décontenancés face à ces moments où la personne de Jésus divise, suscite réprobation ou éloignement. Déception et hostilité.
Pourtant quoi de plus naturel ou d’ordinaire si on connaît « ce qu’il y a dans l’homme » ? Si on mesure la somme de clivages et de divisions qui affectent la pensée et la parole humaines lorsqu’elles descendent dans l’arène et s’exposent aux jugements expéditifs. Il n’est que de passer une vingtaine de minutes sur les réseaux dits sociaux pour perdre toute illusion à cet égard ! Peu de sujets parlants souhaitent vraiment dépasser les apparences. On se gargarise souvent d’altérité… mais devant le Tout Autre, comment ne pas perdre pied ?
La figure et le charisme de Jésus, ses paroles et ses actes, suscitent eux aussi le débat et ne s’exemptent pas de la violence verbale ou physique qui est inhérente au débat. C’est l’Esprit qui vivifie : par elle-même la chair ne peut donner ni vérité ni vie totale. La chair, ce sont les clans, les groupes d’intimidation, la pensée en meute.
Celui en qui les chrétiens reconnaissent le Verbe incarné de Dieu a joué le jeu de l’incarnation jusqu’à s’exposer à l’incompréhension, la résistance du cœur, toutes les ambiguïtés du devenir historique des hommes. Jusqu’à l’abandon par les siens. Qui précède la déréliction de Gethsémani.
Pour l’heure dans cette page, ils sont encore quelques-uns à demeurer à ses côtés. Et il y a Pierre, ce même Pierre qui dans l’évangile de dimanche dernier se jetait à l’eau pour aller vers son Seigneur ressuscité. C’est lui qui une fois encore confesse notre foi : à qui pourrions-nous aller ? Tu as des paroles de vie, tu ES parole de vie, de vie éternelle. Cette Vie que nos existences cherchent à imiter, cette éternité qu’elles croient mimer et qui échappe à nos propres forces. Qu’il nous faut recevoir gratuitement dans l’écoute des mots de Jésus, à son école, dans la communion à son Esprit. Oui, c’est le cri du disciple : à qui irions-nous ?
Jérôme Prigent, oratorien à Paris
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Illustration : Saint Jean (prédelle de la Visitation), Le Maître de Segorbe (XVe siècle), Musée de la cathédrale de Segorbe, Espagne