Roger Thomas est né le 24 novembre 1922 à Paris, dans le quartier de Bastille. Un siècle d’une vie si remplie, toujours au service des autres. Il y eut le scoutisme, qu’il a pratiqué enfant et auquel il a consacré une grande partie de sa vie, l’activité en paroisses, l’aumônerie en hôpital psychiatrique, la Communion oratorienne et aujourd’hui encore, les liens créés dans la résidence Hélène Moutet à Domont où il vit depuis plusieurs années et où il célèbre la messe chaque troisième mercredi du mois. Tentative d’esquisse d’un sacerdoce fait d’amitiés, de services, d’écoute et de patience.
L’enfance et le sacerdoce
Roger Thomas entre à l’âge de 6 ans à Massillon où il découvre l’Oratoire par le biais de l’aumônier de l’école, qu’il quittera après la 6e (pas assez bon en latin !), pour entrer aux Francs-Bourgeois, où le père Morin, curé de Montsoult, venaient pour les confessions. « C’est à lui que j’ai confié mon souhait du sacerdoce. Il m’a dit de venir à Montsoult pour voir ». Il rejoindra le séminaire de Montsoult en 1939 (reprend les cours de latin !) avant de commencer son noviciat l’année suivante, juste avant l’exode. « J’étais le dernier à partir de la villa Béthanie [séminaire de l’Oratoire à Montsoult]. J’ai pris le maximum de choses sur moi et je suis monté dans le dernier train pour Paris avant de rejoindre l’Auvergne, près d’Aurillac, où je suis resté, de mai à octobre. C’est en faisant un pèlerinage à Lourdes, où nous étions partis à vélo avec mon frère et mes cousins, que j’ai vu pour la première fois un soldat allemand. Il était en prière devant la grotte. J’ai toujours gardé en mémoire cette image, très belle. »
Après être retourné à Montsoult, Roger Thomas part « faire sa philosophie » au Collège de Juilly avec le père Hubert de Tourtier, qui était censeur du collège et dont Roger Thomas sera l’adjoint pendant deux ans. « J’y étais très heureux. Je suis retourné ensuite à Montsoult pour faire ma théologie jusqu’en 1949. Les pères du séminaire n’étaient pas favorables à mon ordination. On m’a conseillé de trouver une autre voie. Dans les séminaires, on faisait en général une homélie dans le réfectoire, au moment du repas, mais à Montsoult, c’était dans la chapelle, avant le service du Saint-Sacrement. Un jour, j’ai fait une homélie sur la sainte Vierge. Quelques jours après, le père André Guny, qui m’accompagnait, m’a dit que les pères donnaient leur accord et je fus ordonné le 15 mai 1949 au collège de Juilly. Je suis rentré à l’Oratoire, pour sa liberté (« entre qui peut, sort qui veut ») et sa fraternité. »
Les ministères et le scoutisme
Après avoir été censeur du petit collège de Juilly pendant deux ans, il sera vicaire à la paroisse de Juan-les-Pins, avant de partir quelque temps à Saint-Eustache où se trouve le père Désiré Bouley (« un homme merveilleux, un artiste ») mais où la vie nocturne des Halles rend la sienne impossible. Puis, c’est le Maroc, à Rabat et Meknès, au collège Charles de Foucault, où il retrouve le père Tourtier. Nous sommes alors en 1954.
Au Maroc, il a aussi retrouvé des amis d’enfance du scoutisme, qui lui proposent de partir faire un tour du pays. Malheureusement, leur voiture fait une sortie de route sur une piste et Roger Thomas sera blessé, il aura le bras fracturé. « Quand je suis revenu, mes confrères étaient si heureux de me revoir en vie qu’ils se sont précipités sur moi ! J’avais tellement mal au bras… Cela a été la seule colère de ma vie ! ». L’opération ne sera pas une réussite, le nerf radial en restera paralysé. Que fait-on dans ces cas-là avec un bras dans le plâtre ? En principe, cela nuit fortement à la mobilité… Roger Thomas, lui, de retour à Paris, à l’école Rocroy-Saint-Léon, part en camp scout dans les Vosges (comprenez bien qu’avec son bras « il ne pouvait rien faire ») ! Et comme, pendant les cinq années qui suivirent, « il ne pouvait toujours rien faire », devant chaque année subir une nouvelle opération et rester plâtré, il s’occupa seulement des louveteaux, puis des cheftaines, puis devint aumônier national du scoutisme d’extension…
« Je me suis développé grâce au scoutisme. Ce qu’on a reçu, on le donne. J’ai été louveteau, j’ai été scout, j’ai été routier, j’ai été chef, j’ai été aumônier, j’ai été aumônier national, j’ai tout fait ! »
Puis il change d’établissement, pour partir à Saint-Erembert et en 1960, retourner à Juilly comme aumônier des 6e, puis des 5e et 4e, avant de devenir aumônier national du louvetisme en 1962 et de quitter Juilly, auquel il n’a plus assez le temps de se consacrer.
Le Val d’Oise
En octobre 1967, Roger Thomas est nommé sur la paroisse de Domont, où il restera jusqu’en 1978. Robert Dumont en est le curé, Paul Carpentier est également présent. « On avait une équipe formidable, ça a été un plaisir à chaque fois de travailler en équipe sur les paroisses ». Roger Thomas travaille alors à mi-temps pour la PCS, c’est-à-dire la Pédagogie Catéchétique Spécialisée, où il rédige les documents à destination des jeunes handicapés. « Cela m’a énormément intéressé. J’y ai travaillé quatre ans ». Après dix ans comme vicaire à Domont, il se voit confier par l’évêque la création d’aumôneries dans les services de psychiatrie des sept hôpitaux du Val d’Oise. Pour ce faire, il se formera à Sainte-Anne, auprès des internes de l’hôpital et pourra aussi compter sur le soutien et les conseils d’amis prêtres qui assurent la même mission dans des hôpitaux parisiens. « La mission d’un aumônier en milieu hospitalier, c’est d’être à l’écoute. Savoir écouter. Je n’ai rien à dire d’abord. Il faut que j’écoute et que je comprenne et quand j’aurai compris quelque chose, peut-être que je pourrai glisser un mot. Je pense que c’est dans ce dialogue que s’exprime la présence de Jésus-Christ. Il ne faut pas vouloir absolument dire quelque chose puisqu’on ne sait rien de celui qui est en face de vous. »
Fort de cette expérience, la Conférence des évêques de France lui confie la création de la pastorale de la santé (structure différente de la pastorale des hôpitaux), sous la direction de Monseigneur Marchand, évêque de Valence, dont il était le secrétaire. Pendant ce temps, Roger Thomas vit à Saint-Martin-de-France, où réside une petite communauté de prêtres de l’Oratoire. Il s’installera à Beauchamp lorsque l’Oratoire quittera la direction de l’établissement, continuant sa mission dans les aumôneries d’hôpitaux du Val d’Oise. Il a passé dix-huit ans comme aumônier à l’hôpital de Moissel et dix-neuf ans à Eaubonne. « Lorsque le directeur de l’hôpital de Moissel est parti à la retraite, je lui ai dit que je devrais peut-être y penser également. A quoi il a répondu qu’il n’en était pas question ! » Il est vrai qu’alors, Roger Thomas n’avait guère plus de quatre-vingts ans…
La Communion oratorienne
L’Oratoire souhaitait une collaboration avec les laïcs qui travaillaient dans les paroisses et les collèges dont il avait la responsabilité, l’idée était de chercher à développer une coresponsabilité entre tous les baptisés, prêtres et laïcs, à travers des échanges, la lecture de la Parole, la prière. « Je m’y suis investi, avec deux autres prêtres, Robert Dumont et Paul Carpentier. Ce fut des années de rencontres fraternelles, d’amitié, pendant lesquelles nous avons réfléchi sur les sources de la spiritualité de l’Ecole française, qui était pour beaucoup une nouveauté. Nous continuons d’ailleurs à nous retrouver même si la Communion oratorienne n’existe plus officiellement. »
La retraite
En retraite, pas vraiment… Roger Thomas continua jusqu’en 2021 à être l’aumônier du groupe Amitié Espérance, au sein de la pastorale santé pour les malades psychiques. Et puis, il y eut le groupe Relais Lumière Espérance pour les familles des malades, qui compte une dizaine de personnes, mais où Roger Thomas peut encore intervenir ponctuellement puisque l’année dernière, il remplaçait le temps d’une réunion le prêtre qui l’avait remplacé !
Il continue de célébrer la messe, le troisième mercredi du mois, à la résidence Hélène Moutet, où il s’est installé en 2011. « Au début, il y avait une vingtaine de personnes, mais avec la Covid, beaucoup se sont isolés dans leur chambre et n’ont pas repris aujourd’hui leurs habitudes d’avant. Pendant l’épidémie, je leur disais que s’ils regardaient tous les jours les informations à la télévision, c’était un péché mortel ! Et quand ils sortent de la messe, ils me disent « oh ça fait du bien ! » »
De cette longue vie à l’écoute et au service des autres, il garde beaucoup de liens amicaux, « même quand je suis seul, c’est un tel ou un tel qui habite ma mémoire et le téléphone et Internet me rappellent à leur bon souvenir. La psychiatrie, le scoutisme et le collège de Juilly, où certains anciens me téléphonent encore… Un de mes anciens élèves de Rocroi que j’ai connu quand il avait 12 ans m’a appelé il y a quelques jours, il était médecin, il est maintenant à la retraite. Tous ces témoignages d’amitié, ça fait vivre. Je vis le présent avec tout cet appui du passé. »
Toujours ouvert sur le monde, à 100 ans, il conduit encore sa voiture, mais uniquement dans le Val d’Oise, « je ne vais plus à Paris » !