J’ai tellement lu ce passage de L’Apocalypse que je le connais presque par cœur, la foule immense des élus, 144000, 12000 issus de chacune des 12 tribus d’Israël, en vêtements blancs, une palme à la main, rescapés du grand désastre. Tant d’années, j’ai lu ce fragment à la messe de la Toussaint, à Saint-Matthieu et à Saint-Melaine, à Saint-Eustache à Paris, et chaque fois je revis la même émotion, le même vertige, la même ferveur, tout simplement parce que je tiens cet extrait pour l’un des plus beaux de l’Ecriture.
La force des images, la puissance évocatoire, la splendeur des visions y sont pour beaucoup. Au seuil de ce mois de novembre que j’aime peu et que je redoute tant – le mois des morts et des ombres –, elles m’entraînent, elles m’emportent loin de mes ruminations noires. Ce sont des images de vie, de blancheur, de renaissance : tous ces gens de blanc vêtus sortent de la grande épreuve, ils ont purifié leurs vêtements dans le sang de l’Agneau. Et aussitôt une autre image s’impose : celle du retable de L’Agneau mystique de Van Eyck conservé à la cathédrale Saint-Bavon de Gand. L’agneau y trône, sur l’autel, au milieu de la foule des élus, sur une herbe d’un vert resplendissant. Chaque fois que je lis L’Apocalypse à Morlaix ou à Paris, je suis transporté à Gand, comme en cette lointaine Toussaint de 1990 où, en compagnie de la regrettée Hélène, je découvrais cette merveille. La noirceur redoutée de novembre, les canaux et les briques de Gand, la lumière invincible, la gloire de la Jérusalem céleste : l’ancrage, l’art et la ferveur.
La Toussaint demeure pour moi, de façon intime, mystérieuse et forte, et en lien étroit avec Pâques, cet autre passage, de purification et de foi, parce que, dans ses élans et ses intermittences, notre vie spirituelle est avant tout une histoire de traversées et de renaissances.
Philippe Le Guillou, paroissien de Saint-Eustache