Messes de la Toussaint : « Se rassembler après un attentat, c’est reconstruire un lien »
[Interview] À la veille de la Toussaint, entre la crainte d’un nouvel attentat après celui qui a touché la basilique de Nice, le 29 octobre, et l’appréhension face àla crise sanitaire, les prêtres sont aux premières loges pour prendre soin des paroissiens et des visiteurs. Témoignage d’Yves Trocheris, curé de Saint-Eustache, àParis.
L’événement du 29 octobre me laisse avant tout sans voix. Je suis sidéré face cette attaque dans une église. Hier en fin de journée, lors de la messe, je reconnais que j’ai eu un peu peur : Saint-Eustache se trouve àquelques mètres des Halles, en plein cœur de Paris, et nous sommes une grande église avec de nombreuses portes ouvertes àdessein, pour accueillir largement. Nous savons que nous sommes àrisque. Pourtant, quand je suis arrivé pour célébrer, j’ai vu qu’il y avait plus de monde que d’habitude. La peur a fait place àla joie : j’étais heureux d’être là, pour rassembler et pour être avec les fidèles.
Nous sommes un peuple qui a besoin de se rassembler, c’est constitutif de notre foi chrétienne. C’est encore plus important dans le contexte qui est le nôtre. D’autant plus qu’il y a quelque chose d’une reconstruction d’un lien entre nous quand on se rassemble après un attentat comme celui qui nous a touchés jeudi, un chemin de paix qui se dessine alors dans nos cœurs. En France et en Europe, nous sommes les héritiers d’un impératif de paix qui a porté nos nations depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous devons continuer àrevendiquer cette paix, ensemble.
Comment préparez-vous ces célébrations de la Toussaint si particulières ?
En tant que curé, je me sens responsable de la sécurité de toutes les personnes qui entrent dans l’église, qu’elles viennent pour une messe, pour regarder ou pour s’asseoir quelques instants. Nous avons tous cela, àla fois des sans-abri et des curieux qui sont subjugués par la beauté de l’édifice, tout comme des fidèles qui viennent prier. Tout est mis en œuvre, depuis plusieurs semaines maintenant, pour que leur sécurité sanitaire soit assurée, et nous allons y veiller tout particulièrement. Quant aux risques d’attentat, nous avons reçu, une heure àpeine après l’attaque de Nice, la visite de forces de l’ordre venues nous indiquer les personnes àcontacter en cas de problème majeur, puis deux visites de policiers venus nous dire qu’ils étaient làpour notre protection.
Nous sommes un peuple qui a besoin de se rassembler, c’est constitutif de notre foi chrétienne.
– Yves Trocheris, curé de Saint-Eustache
Malgré notre propre peur, je ne peux m’empêcher de penser àd’autres, qui sont sur des fronts bien dangereux : les soignants et les forces de l’ordre. Ils font aujourd’hui preuve d’un grand courage pour nous. Nous devons aussi être courageux, non pas d’un courage orgueilleux de revendication, mais un courage qui nous invite àécouter notre cœur dans son désir de paix.
Attentats, crise sanitaire, confinement, fête des Défunts durant laquelle nous portons ceux qui nous ont quittés… Comment faire face àune vague de tristesse qui peut nous envahir ?
L’affluence d’hier àSaint-Eustache me fait dire que se rassembler tant que cela est possible est une première réponse, pour déposer ensemble aux pieds du Seigneur ces émotions qui nous animent. Ensuite, je m’appuie beaucoup sur le théologien allemand Karl Rahner, qui nous appelle à« croire et espérer dans toutes situations qui nous sont faites ». Mais cette foi et cette espérance, selon lui, ne sont pas seulement le fruit de notre propre force, elles sont issues d’un mouvement de grâce qui peut nous porter, nous soutenir dans l’adversité.
Pour cela, nous devons rester ouverts pour expérimenter cette grâce : ouverts àl’autre, quel que soient les moyens que l’on a de le rejoindre, et ouverts au Christ, quel que soient pour lui aussi les moyens que l’on a de le rejoindre. Nous ne devons pas fermer notre attention.
Le confinement va mettre fin aux messes dans les églises. Comment envisagez-vous l’après ?
La grande question est de savoir où mettre le curseur. Nous devons respecter les règles données par l’État, garantir la sécurité des paroissiens mais aussi des bénévoles et des salariés. En même temps, l’église doit rester ouverte, elle est un signe dans la ville, un lieu de gratuité et de beauté offerte pour le réconfort de tous ceux qui en passent la porte. Ce n’est pas négligeable pour nous, bien au contraire !
Aujourd’hui, nous ne savons pas encore comment nous allons faire. Nous pensons déjàque, pour la semaine prochaine, nous allons garder l’église ouverte presque tous les jours, mais la suite n’est pas arrêtée, car il faut une grande mobilisation humaine pour qu’il y ait toujours une présence afin d’accueillir et de veiller àla sécurité.
Interview Sophie Lebrun